La vengeance est un plat
La lamentable histoire de Titus et André Nicus

Dans le corpus des œuvres de Shakespeare, Titus Andronicus, qu’on suppose être la première pièce du dramaturge, occupe une place énigmatique n’offrant qu’une certitude : c’est la plus sanglante. Son canevas déroule un cycle de vengeances que ne désavouerait pas le Grand-Guignol. Titus Andronicus a perdu vingt-et-un fils sur le champ de bataille, a tué le vingt-deuxième dans un accès de rage ; sa fille est violée sauvagement, ses agresseurs l’amputent de ses deux mains et de sa langue pour l’empêcher de les dénoncer ; Titus lui-même est conduit à se trancher une main tandis que ses deux fils sont décapités. « Porte ma main, ma douce, entre tes dents » demande-t-il à sa fille… T.S. Eliot l’écrira sans ménagements : « Titus Andronicus est une des pièces les plus stupides que l’on ait jamais écrites ». De fait, après avoir connu un grand succès, elle fut pratiquement exclue du répertoire. Pour la Cie du Zerep qui se réclame depuis 1998 d’un théâtre affranchi de toute hiérarchie, l’occasion était belle de proposer une adaptation éclairée, métaphorique et très personnelle d’une telle tragédie. La vengeance est un plat expose une justice sauvage qui conduit à un état de régression où les hommes s’entre-déchirent, dans un monde où tout est bafoué et perverti. Le mélange du lyrisme et du pathétique, du grotesque et du gore est l’occasion rêvée pour le Zerep, que l’on a déjà vu à Caen avec Babarman, mon cirque pour un royaume de donner libre cours à l’état d’esprit qu’il revendique, dans toute la démesure qu’on lui connaît. Un Shakespeare façon carnaval, où le suspens rode.